Le Retour du Roi
Un bruit. Presque inaudible. J’ouvre les yeux.
Bip.
Encore un.
Bip.
Je me redresse.
Bip.
Esprit brumeux. Flou.
Bip.
Où sont mes lunettes ?
Bip.
Sous mes doigts, du papier. Un livre. Je déchiffre
péniblement. Le… retour… du… roi. Et aussi le mien.
Bip. Bip. Bip.
-
Il se réveille !
De grands yeux penchés sur moi. Tellement heureux.
Je m’y raccroche. A tâtons, je cherche. Une main.
En vie. Enfin.
Les livres nous aident à vivre.
C’est la conclusion à laquelle je suis arrivé. La musique déculpe nos sens, le
contact nous rend humain, les livres nous aident à vivre.
(Annotation trouvée sur la première
page du Retour du Roi de J.R.R Tolkien appartenant à M. Salron)
-
J’ai eu tellement peur pour toi !
Les larmes jaillissent des yeux de Nathalia. Elle
me serre contre elle à m’étouffer, mais cette étreinte me réchauffe tellement
le cœur que je ne dis rien. Où suis-je ? Mes yeux fouillent la pièce. Murs
blancs. Sol blanc. A travers la porte entrebâillée, j’aperçois un petit garçon
blond blotti dans les bras d’un docteur, les joues baignées de larmes.
-
Maximilien… Regarde-moi…
Je pose mes yeux sur mes mains. Elles sont serrées
sur les draps, blancs. Tout est blanc, trop blanc.
J’entends Nahalia qui me parle, qui m’appelle. Et
aussi, le petit garçon qui pleure.
Mais qu’est-ce que je fais ici ?
-
Nathalia, qu’est-ce qui m’est arrivé ?
Elle s’arrête un instant, scrutant mon visage. Ses
lèvres m’attirent.
-
Mon… mon chéri… on était près du lac, tu sais, pour le pique-nique. Un
petit week-end, rien que toi et moi, au bord de l’eau, et… et un éclair a fendu
le ciel. Tu as eu de la chance. (Elle jette un coup d’œil vers la porte.) Celui
qui était sur le bateau est mort…
Des souvenirs indistincts refont surface, mais ma
tête est lourde. Si lourde…
Soudain, des milliers de papillons colorés
apparaissent et s’agitent devant moi, avant de devenir de simples points de
lumière tandis qu’un tourbillon les emporte et les remplace par le noir. Le
néant.
Un long tunnel. Au bout, de la lumière. Je flotte,
je ne sen spas mon corps. Aucun bruit, aucun souffle. Le vide.
Puis un son infime me parvient. Il semble venir
des profondeurs de la Terre, ou du plus haut des cieux. Ténu, distant, étouffé.
Bip. Bip. Biiiiiiiip…
Une voix résonne.
-
Non, non ! Maximilien ! Qu’est-ce qu’il se passe, aidez-moi… infirmière
!
Je connais cette voix. Nathalia. Oui, c’est elle,
c’est Nathalia. Ses mains me secouent en tous sens tandis que des sanglots la
gagnent. Je rouvre les yeux, les plante dans ceux, inondés de larmes, de
Nathalia. Elle soupire de soulagement.
-
Oh, Maximilien ! J’ai cru… j’ai cru que tu étais reparti… Oh, mon dieu,
tu m’as fait tellement peur !
Oui, j’étais reparti, en route vers la mort. Mais
ses pleurs m’ont ramené à la réalité, et cette fois-ci, avec mes souvenirs. Je
me souviens…
De l’eau agitée.
Ce ne sont pas des souvenirs clairs qui me
parviennent, plutôt des images. Je sais maintenant ce qui s’est passé.
Un bateau au milieu du lac.
Les larmes dévalent mon visage, impossible de les
arrêter, maintenant. Je fais face aux souvenirs et les reçois tous comme des
coups au visage.
Un homme à la mer.
J’aurais dû l’aider… N’est-ce pas ce que j’ai fait
?
Je lève la tête, Nathalia me regarde.
-
Tu n’aurais pas dû sauter… C’était trop dangereux. J’aurais dû t’en
empêcher, mais…
Ses pleurs redoublent de puissance tandis qu’en
moi la tempête fait encore rage.
D’énormes vagues. Dans un lac ! Un bruit
assourdissant. Des cris.
L’homme du bateau est mort. Nathalia me l’a dit.
Alors pourquoi s’apitoyer sur mon sort alors que d’autres n’ont pas eu ma
chance ? Alors que partout autour de moi, des orphelins perdus semblent
complètement terrorisés ? Ils ne comprennent pas ce qu’il se passe. Moi non
plus. Je hais les scientifiques : ils auraient dû prévoir cet éclair. L’éclair…
Oh non.
Je me tourne vers ma compagne, et le cœur au bord
des lèvres, je lui demande : « Nathalia. Décris-moi.
-
Tu… tu as changé…
-
Je sais… Mais comment suis-je, maintenant ? Dis-moi. S’il te plaît…
Ma voix se brise. Si elle ne veut rien me dire,
elle qui d’ordinaire est si franche, c’est que je ne vais vraiment pas bien. Je
lui prends la main.
-
Nathalia… je t’en supplie…
Mais elle se détourne, le visage ravagé par les
larmes. Je n’en saurai pas plus d’elle.
-
Nathalia, je peux avoir un miroir ?
-
Pas… pas aujourd’hui. L’infirmière a dit non.
Le désespoir me submerge. Je replonge dans
l’inconscience.
Bip.
Seul ce son me maintient en vie.
Mes yeux s’ouvrent et se posent sur le petit
garçon :
-
Nathalia, qui est-ce ?
Elle baisse la tête, l’air bouleversé.
-
Cet orage… cet orage n’a pas fait qu’une seule victime… Son père a
également été touché par la foudre, alors qu’il donnait un concert. Damon n’a
plus personne. Les infirmières s’occupent de lui en attendant de lui trouver
une famille d’accueil. Ou…
Sa voix se brise. A nouveau. Elle regarde le petit
Damon d’un air attendri, et lui fait signe de venir. Il s’avance d’un air
timide, et elle pose ses mains sur ses épaules d’un geste protecteur.
-
Il me tient compagnie, quand tu sombres dans l’inconscience…
Coup de poignard.
Un enfant… Elle a toujours voulu un enfant. Je
n’ose pas croiser son regard et tente de sourire au petit garçon.
-
Bonjour, Damon…
Son regard se rempli d’horreur en une fraction de
seconde. Il pousse un cri déchirant et se retourne, enfouissant son visage
terrifié dans le tee-shirt de ma compagne qui le serre contre elle. Il tremble…
Mais que suis-je devenu pour faire peur à ce point
? Je déglutis. Je croise les yeux de Nathalia et y vois l’horreur, l’amour et
la peur mêlés. Je lève une main tremblante vers mon visage…
Biiiiiip.
Mon coeur tambourine dans ma poitrine.
Bip.
Nathalia a les yeux baissés sur le sol et caresse
lentement les cheveux du petit garçon.
Bip.
Mon rythme cardiaque s’accélère dangereusement…
Bip.
Damon se retourne et fixe mon visage. Il lève
lentement les yeux et plonge ses sombres pupilles dans les miennes.
Bip.
Il ne sourcille pas. Il soutient mon regard
attristé.
Bip.
Je détourne la tête.
Bip.
Je me souviens. A nouveau.
Je me souviens des nuages, de la foudre et du
tonnerre. De ce grand flash blanc, du cri désespéré de Nathalia, et de…
Un ange venu en Enfer.
Une lumière dans l’obscurité.
Bip.
Je plaque une main sur mon visage.
Je pleure…
Je laisse mon visage exprimer ma douleur. Il se
contracte. Mes muscles se tendent. J’ai mal. Mal…
Bip.
J’essaie de me calmer. De reprendre mon souffle.
Je passe mes mains sur mes joues, pour chasser mes larmes. Et je sens… une
boule. En bas, juste au-dessus de mon menton. Stupeur.
Bip.
Puis j’oublie la douleur. Mes doigts glissent vers
mon nez, mon front, ma bouche. Ils ne sont pas aux endroits habituels. Mon nez
s’est aplati, il arrive presque à ma bouche.
Bip.
Je redécouvre mon visage.
Bip.
Puis je réalise une chose. La chose. Ce n’est pas
une figure humaine que je touche.
Bip. Bip. Bip. Les bips emplissent mon esprit, le
vidant de ses pensées.
Bip.
Mes l’une d’elle me rattrape. Inexorablement.
Bip.
Je n’ai plus figure humaine. Je ne suis plus
humain.
Bip.
Les larmes, de nouveau. J’ai mal. Très mal. Je
serre la main de Nathalia qui s’est assise sur mon lit.
Bip. Bip bip bip.
-
Maximilien… je suis désolée…
Les larmes coulent le long de mes joues.
-
Nathalia, je… je ressemble à quoi ?
-
Max…
-
Dis-moi...
Elle détourne le regard. Elle ne veut pas me le
dire. Elle cherche à se dérober.
-
S’il te plaît !
Je mets toute ma force dans cette supplication,
toute ma douleur.
-
S’il te plaît, Nathalia. Regarde-moi et dis-moi !
-
Tu… es…
-
C’est quoi ça ? interrompt Damon, mon exemplaire du Retour du Roi à la
main.
Le petit garçon n’a pas l’air de reconnaître un
livre et la préciosité de celui-ci. Maudite génération de gadgets électroniques
qui ont éliminé les livres comme beaucoup d’autres choses…
-
Un livre, un grand chef-d’œuvre, réponds-je.
Un brusque sentiment d’abandon me saisit. Plus
rien ne me rattache au monde des humains. Je suis défigurés, marqué à vie,
seul. Nathalia m’aime pour dix, je le sais, mais tout son amour ne me sauvera
pas du regard des autres.
J’ai le Retour du Roi. Ma vie avant l’accident.
Mes notes, mes joies, mes peines, mes pensées, consignées dans ce livre. Je
l’arrache presque des mains de l’enfant, mon trésor, mon précieux…
-
Un chef-d’œuvre, comme Voodoo Child de Jimi Hendrix ?
-
Quoi ?
-
Mon père il disait tout le temps que Jimi Hendrix c’était le meilleur
guitariste, que c’était son modèle !
La seule pensée de son père suffit à lui faire
perdre sa bonne humeur. Ses grands yeux noirs se remplissent de larmes, ses
lèvres tremblent et il éclate en sanglots.
Jimi Hendrix… Je ne suis pas un grand fan de Rock,
mais j’ai pourtant quelques albums de lui. Je crois même avoir « Alexis : Bold
as love » en CD. C’est vrai qu’il était bon…
-
Il avait raison, ton père. Jimi Hendrix était très doué, dis-je avec douceur.
Le garçon relève la tête et frotte ses yeux rougis
en reniflant.
-
Papa jouait encore mieux ! C’est lui mon modèle à moi !
Un sentiment de fierté se dessine sur son visage.
Nathalia lui passe la main dans les cheveux, émue.
Une infirmière s’avance dans la chambre, je ne
l’ai pas entendue entrer…
-
Bonjour Maximilien, comment vas-tu aujourd’hui ? demande-t-elle d’une
voix fluette.
Elle affiche un grand sourire. Mielleux.
A côté de moi, Nathalia me regarde avec les mêmes
yeux compatissants. Pleins de pitié.
Ils m’assaillent de toutes parts.
Leurs regards mielleux. Hypocrites. Emplis de
pitié.
Pleurer. Compatir. Faire semblant que ça les
atteint. Déverser leur pitié.
Ils sont tous là, autour de moi. J’en ai marre. Je
ne veux pas de leur pitié. J’ai envie qu’ils s’en aillent. J’ai envie qu’ils me
laissent tranquille.
J’ai envie de hurler.
-
On va laisser Maximilien se reposer un peu, hein ? reprend l’infirmière.
Nathalia la suit dans le couloir. Seul le petit
garçon reste. Son regard à lui n’est pas empli de pitié. Seulement de
curiosité.
-
Dis, tu sais où il est, mon papa ?
Je déglutis difficilement.
-
Ton père est mort, dis-je dans un murmure presque inaudible. Je ne sais
pas où il est, désormais.
Damon reste muet. Un léger voile de tristesse
embrume soudain ses yeux. Je devine que ce n’était pas la réponse qu’il
attendait. Il voulait que je lui dise que son père est au ciel, jouant de la
guitare électrique, heureux, parmi les anges… Mais c’était plus fort que moi.
Il devait savoir ma vérité : j’ignore ce qu’il y a après la mort. Elle est un
mystère. Personne ne peut nous dire ce qu’il découvrira dans cet au-delà. La
mort… Elle m’a toujours fait peur.
Damon pleure silencieusement. C’est à peine si
l’on entend ses petits sanglots précipités. On voit juste des larmes qui
roulent sur sa figure de petit garçon. Sa figure, si innocente, si belle, mais
déjà marquée par le chagrin.
Dehors, le soleil se couche et nous couvre d’un
éclat presque orangé. Damon vient se serrer contre moi. Nous restons là tous
les deux, à contempler ce spectacle, tout en ressassant nos pensées, blottis
l’un contre l’autre, unis par notre sentiment de perte.
-
Tu as toujours ton père, toi, me chuchote-t-il alors d’une voix
entrecoupée de sanglots. Ton livre…
Et bien qu’aucun de nous ne détourne le regard de
l’aurore – ou est-ce le crépuscule ? -, je sais tout autant que lui de qui il
parle : Le Retour du Roi, depuis toujours, est mon guide.
- Oui, c’est vrai, chuchote-je en
réponse quelques instants plus tard, troublé par la pertinence de l’enfant. Il
y a ces choses qui nous entraînent et font de nous ce que nous sommes…
Mais Damon n’écoutait plus. Il avait sombré dans
mes bras.
J’ouvre les yeux. Dehors, il fait jour. Le soleil
se faufile à travers les rideaux entrouverts. Sur ma droite, une machine égrène
des « bips » réguliers. Blotti dans mes bras se trouve un petit garçon, un
sourire béat sur le visage. Pour, ses mains sont crispées sur le drap blanc.
Comment s’appelle-t-il, déjà ? Ah oui. Damon.
Soudain, les souvenirs affluent. Je revois
Nathalia, souriante, sur le pont du bateau. Puis les vagues. La tempête. Mon
plongeon dans l’eau agitée. Je voyais l’homme s’enfoncer dans les abysses du
lac. Mais je ne pouvais rien faire pour lui. Les poumons en feu, je remontai à
la surface. Je n’ai pas pu le sauver. Je sais que je n’ai rien à me reprocher.
J’étais impuissant. Spectateur. Pourtant, je me sens coupable. Je me souviens
parfaitement du regard de cet inconnu. Sous l’eau, ses yeux étaient d’une
couleur d’aube. Foudroyés et immobiles. Ils sont restés gravés dans ma mémoire,
ces yeux d’azur éteint. Et ils le resteront encore. Parce qu’ils m’ont
immédiatement semblé familiers.
Je ne l’avouerai jamais à personne. Jamais. Mais,
lorsque j’ai croisé ce regard presque mort, je n’ai pas vu un homme ordinaire.
J’ai vu Gandalf. Gandalf le Gris, sombrant dans la Moria immense. Et avec lui,
j’ai frôlé le sombre chant des elfes. Était-ce un délire ? Une hallucination ?
Je ne sais pas. Mais j’y ai cru. Un instant, j’y ai cru. Je le jure.
Car il a bien fallu que la magie s’en mêle. Un
éclair. Sur un lac. Deux hommes. Bien moins d’une chance sur dix de survie à
eux deux. Un survivant. Moi. J’ai survécu. De justesse.
Je pense que je n’ai jamais autant aimé la vie, ce
sang qui coule en moi, cette vigueur dans mes muscles. Et pourtant, la vanité
ne s’en est pas allée avec ma beauté : il faut que je sache.
Près de moi, Damon se réveille doucement, et rapidement,
je vois ses doigts bouger, puis sa main prendre la mienne. Je m’entends alors
demander :
-
Pourquoi as-tu eu peur en me voyant tout à l’heure ?
Mais il ne répond pas, se contentant d’enfouir son
visage dans sa manche. Je me relève doucement.
-
Tu peux me le dire, tu sais…
Un murmure s’échappe des lèvres du petit garçon.
Je comprends un mot sur deux :
-
Certaines choses… pas savoir… mieux…
Nous sommes interrompus par une infirmière qui
entre sans bruit, avec ce même sourire miel qui me hérisse le poil.
-
Tiens Damon, quelqu’un a apporté un cadeau pour toi : un joli tambourin
!
Un sourire éclaire le visage de l’enfant qui
s’empare de l’objet. Il tapote dessus, hésite, recommence, en rythme. Il a
apparemment hérité du talent de son père.
Le son de la musique me fait oublier la douleur.
L’enfant a les yeux qui pétillent de joie. Pour la première fois depuis
l’accident, j’arrive à me concentrer sur quelque chose de beau. Les infirmières
viennent dans la chambre pour l’écouter. Les visiteurs s’arrêtent devant la
porte et passent la tête. C’est comme si le monde tournait autour de ce petit
bout d’homme.
Je regarde dehors. Le jardin de l’hôpital est
couvert de bourgeons. Peu à peu, au rythme de la musique, quelques-uns
s’ouvrent et de magnifiques roses, tulipes, violettes et marguerites
transforment le parterre vert herbe en une constellation multicolore. Toutes
ces fleurs colorées semblent refléter l’innocence, et amène de l’espoir dans un
monde au futur sombre…
Dans son rythme, Damon n’a pas remarqué ce qui
vient d’apparaître dehors…
Un trompettiste de jazz a dit : « La vraie musique
est en vérité le silence, les notes ne servent qu’à encadrer le silence »… Mais
en voyant le pouvoir de cet enfant, j’acquiers une conviction. La véritable
musique est en réalité les battements du cœur. Par eux les musiciens et
chanteurs s’expriment, les paroliers écrivent ces textes poignants, les
compositeurs créent des mélodies inoubliables. Par eux, la musique existe. Je
ne sais pas d’où ce garçon tient un tel bagage musical. Mais, certainement, par
sa musique, cet enfant peut changer le monde.
Bientôt, Damon cesse sa si jolie mélodie. Le
silence se fait, et nos regards se croisent, l’espace d’un instant. Je vois en
lui un air venue d’ailleurs, une aura étrange, incompréhensible. Je parviens à
murmurer un bref merci pour cet instant de bonheur, qui sera gravé, à jamais,
en moi. Le jeune garçon baisse les yeux sur mon précieux ouvrage. Puis il me
dit d’une voix inaudible :
-
Mon père disait toujours que ce qui nous guide et qui compte cher à nos
yeux, il faut le partager.
Il a raison et j’approuve ses paroles, qui sont
tellement sages…
Ma main glisse alors sur mon livre.
Je me raccroche à cette relique d’encre et de
papier, je le saisi entre mes doigts faibles et une force subite me parcourt
les veines.
-
Viens là, dis-je à Damon qui me regarde avec ses petits yeux bruns,
curieux et furtifs.
Je tapote le bord de mon lit. Il s’assoit précipitamment,
un grand sourire étirant ses petites lèvres. J’ouvre mon livre. Et soudain, une
certaine crainte me saisit. J’ai peur de lui lire, j’ai peur qu’il n’aime pas.
Tout à coup, tout ce qui importe c’est ce que ce petit être peut bien penser.
Ses grands yeux attentifs m’encouragent à parler. Je tourne la page
délicatement, et je commence à lui raconter dans un murmure.
-
Trois anneaux pour les rois elfes sous le ciel…
Damon fronce les sourcils. Les premières phrases
lui semblent sans doute un peu étranges. Je me souviens que ces premiers mots
m’avaient toujours parus mystérieux, sans que je parvienne à saisir pourquoi…
Des paroles surgies d’un autre âge.
-
… Un Anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier.
Le jeune garçon lève le regard, ses yeux se
perdent dans le vague. Je continue à lire, avance dans les chapitres, et laisse
agir sur l’enfant la magie de ce livre que j’avais toujours tenu pour mien.
-
Sam, tapi derrière la porte de l’escalier, eut au passage un aperçu de
sa vilaine face dans la lueur rouge.
Je m’arrête un instant.
Damon me regarde, la bouche ouverte, suspendu au
fil de l’histoire.
-
Elle était toute striée, comme déchirée par des griffes, et barbouillée
de sang ; de la bave dégouttait de ses crocs saillants. Les lèvres étaient
retroussées comme ceux d’une bête.
L’orque, personnification du mal, est
l’exemple-même du génie de Tolkien.
Damon me fixe toujours, il semble effrayé.
-
Les orques peuvent aussi être gentils, non ?
Sa voix est chevrotante, comme s’il redoutait ma
réponse. Ses yeux sombres fixent mon visage. Je passe une main, lentement, sur
ma joue. Je sens défiler sous ma paume des cicatrices, des crevasses, et toutes
autres choses peu agréables au toucher.
-
Je ne pense pas que les orques soient de mauvaises créatures,
commençai-je. A mon avis, c’est à cause de Sauron qu’elles sont devenues des
bêtes méchantes et affamées de sang. Car Sauran leur a enlevé leur liberté. Au
fond, les orques sont gentils.
Damon, rassuré par mes paroles, ne me quitte pas
des yeux. Me prend-il pour un orque ?
Ma main touche maintenant ce qu’il reste de mes
cheveux, autrefois doux et soyeux.
-
A quoi est-ce que je ressemble ? lui demandé-je d’un ton désespéré,
effrayé par la réponse qui pourrait suivre. Son regard dégage de la pitié.
-
Tu… tu ressembles à… à une gentille créature.
Peu de temps après, une infirmière entre. Elle
tend la main vers Damon et dit doucement :
-
Viens, je vais te conduire dans ta nouvelle maison.
Damon me regarde d’un air un peu triste et prend
la main de l’infirmière. Avant de quitter la chambre, il me sourit et murmure :
-
Au revoir !
Avec la participation : Aile 2- Bokalieee- Le
Saule pleureur- Violette- Diablo91- le petit grand nain- Leeko- Mécrivain- Aile
1- Blondinette- herbe folle/à fleur de mot- Ewen- La Chameauteure- Lisonnette-
Yoko- Elle- Myr- Actarus- Tic-Tac-Toe- Safran- Plume Azerty- Ptite Lu- Titelilou-
Aqua- Trois Petits Points- PeachyPye- Lutiboule- LaMasquée- My name is
Nobody-Papergirl
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